20/11/2006

Notre malhonnêteté au quotidien

Les petites malversations, tout le monde les commet : à son travail, en arrivant volontairement en retard parfois, ne rendant rien au patron ; en prenant sur le temps du travail un café, en parlant de choses personnelles, en emmenant un stylo chez soi, une gomme pour ses enfants. Quoi de plus naturel ! L’entreprise gagne bien assez comme cela, paye ses salariés trop peu. Bien sûr, le règlement interdit de faire cela, mais on ne va pas être mis à la porte pour cela, et puis il faudrait encore prouver la nature de la faute, et un stylo, on aurait aussi bien pu l’acheter. On est ainsi prêt à mentir, pour si peu, mais sait-on jamais.

Et puis l’entreprise elle même se sert de ces mensonges permanents. On ne dit pas que le supérieur ne veut pas parler à un tel, non, on dit qu’il n’est pas là, ou en réunion. On pourrait dire la vérité : il n’a pas le temps, ou ne veut pas se préoccuper de cette affaire pour l’instant, ou ne l’a pas encore étudiée, ou autre raison, mais non, c’est tellement mieux de mentir : souvent personne n’est dupe, mais l’hypocrisie sociale générale est préservée. Il vaut mieux permettre à chacun de sauver la face que de dire gentiment et honnêtement la vérité, ne pas dire à un client l’erreur de son entreprise...

Le problème, c’est que de proche en proche, tout l’établissement des rapports humains se construit ainsi. Lorsque l’entreprise envisage de restructurer l’organisation du travail, changeant les affectations au sein de l’entreprise, par fonction ou lieu géographique, voire en licenciant du personnel, elle ne va tout de même pas prévenir les délégués du personnel ou les travailleurs. Elle va dire que tout va bien, qu’il faut que chaque salarié donne le maximum de lui même pour que tout continue ainsi dans un environnement concurrentiel difficile, et puis au retour de l’été par exemple, les gens trouveront les portes de leur gagne pain fermé, les machines déménagées dans le plus grand secret.

La malhonnêteté ne commence pas ici pour finir là, elle est ou elle n’est pas. C’est un état d’esprit. Certes, chacun ne la situe pas au même point, mais il est évident que la plupart des gens la bafouent ouvertement, sous couvert de paroles ronflantes, rassurantes, ce qu’on appelle aussi la langue de bois.

Au jour le jour, nous en commettons tous, car elles sont possibles en tout lieu et occasion. Une émission gag diffusée sur une grande chaîne publique était à cet égard fascinante. On faisait croire à des célébrités désirant acheter un appartement, qu’elles avaient trouvé par hasard, derrière un tableau, un fabuleux trésor caché jadis par un parent du propriétaire. Un complice voulait aussi acheter le logement, et celui-ci et le piégé du coup surenchérissaient à qui mieux mieux pour l’un emporter le magot, l’autre faire son travail de plaisantin. Le plus étonnant dans l’affaire n’est pas la malhonnêteté de ces gens, voulant spolier le propriétaire de son trésor caché, mais du fait que ces célébrités ne craignaient nullement d’étaler leur rapacité devant des millions de personnes, et que visiblement les présentateurs ne pensaient pas que ce témoignage public de malhonnêteté n’engendre les foudres des téléspectateurs.

Vous même considérez sans doute tout à fait normal que ce trésor revienne à celui qui l’a trouvé ; qu’importe que le grand père ait travaillé et économisé toute sa vie, que l’héritier puisse être dans la misère. Les textes de loi pourraient sans doute punir ce méfait, mais qu’en est-il des valeurs morales d’antan ? Eh oui ! Elles font plus prendre en pitié ceux les respectant, que ceux passant outre. Etre honnête, c’est être un crétin, respecter scrupuleusement l’esprit de la loi ; profiter d’autrui est bien vu en général.

Le parquet de Versailles a requis en novembre 2003, huit mois de prison avec sursis et 15.000 euros d'amende contre le chanteur Florent Pagny, jugé en correctionnelle pour fraude fiscale, après ses démêlés avec le fisc, dont il fit une chanson à succès : Ma liberté de penser.

Il fut poursuivi pour avoir omis de déclarer, en 1997, 48.000 euros au titre de la TVA, pour avoir minoré ses revenus en 1996 et 1997 d'environ 540.000 euros, pour avoir soustrait au fisc en 2002 une automobile Bentley, quatre motos, des grands crus de vin et des œuvres d'art qui devaient être saisis. Il lui fut aussi reproché de s'être fait verser par la maison de disques Polygram en décembre 1995 un faux prêt de 1,5 million d'euros, qui constituerait, selon l'accusation, une avance sur recettes et donc un revenu. Il a dû déclarer à la barre ses revenus actuels : plus de 2 millions d’euros par an.

Pourquoi une telle histoire ? simplement pour montrer la vérité toute crue sur le commun des gens : la plupart d’entre nous estime tout à fait normal de cacher la vérité, s’estimant de bon droit à profiter de l’ensemble de la société. Nous faisons tous la même chose, se chagrinant des cent euros de plus que son proche gagne, acceptant les fortunes éhontées que volent plus ou moins légalement les gens malhonnêtes du haut de notre société, et considérant que tous ceux du dessous n’ont que ce qu’ils méritent. Sport national : frauder les impôts, profiter de la sécurité sociale… belle société décidément.
Pour information, les fraudes fiscales et sociales (2006) sont équivalentes au déficit budgétaire de l'Etat, à savoir 36,5 milliards d'euros. Entre 7,3 et 12,4 milliards d'euros de manque à gagner pour la taxe sur la valeur ajoutée, 4,3 milliards pour l'impôt sur le revenu, 4,6 milliards pour l'impôt sur les sociétés, 1,9 milliard pour les impôts locaux, etc. Le tiers restant des fraudes est imputable aux prélèvements sociaux, essentiellement le manque à gagner dû au travail au noir, entre 6 et 12 milliards d'euros.

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