20/11/2006

Le désarroi de ceux n’ayant plus rien à perdre, hors leur fierté telle qu’ils la vivent

Les jeunes des quartiers défavorisés jugent la société complètement pourrie, sont souvent pris entre deux cultures, écartelés en fait entre des valeurs de soumission et de respect souvent issues des mentalités africaines, et l'intolérance et la violence venues de leur quotidien de la rue, où seul le plus fort est respecté, arrive à s'en sortir, au moins parmi les copains.

Dans ce contexte de chômage, de misère encore plus morale que matérielle, le moindre symbole d'autorité ou simplement de représentant même bien éloigné de l'état devient à leurs yeux un symbole à abattre, humilier, combattre. Ainsi les facteurs sont agressés, moins pour l'argent qu'ils ne portent plus guère sur eux que pour leur uniforme ; les pompiers, parfois appelés à tort exprès par ceux voulant les combattre imbécilement, à cause de leur bel uniforme là aussi, les considérant comme des privilégiés de la nation, alors qu’en fait ils secourent leurs semblables, parfois au prix de leur sang.

Les policiers surtout, constamment insultés, agressés, blessés ou tués parfois. Il n'est pas rare qu'on leur jette du haut des immeubles cailloux, objets divers pouvant aller jusqu'au vieux téléviseur ou réfrigérateur ! Cela s'appelle tentative de meurtre en français, mais ces tristes protagonistes en ont-ils seulement encore conscience ? Pour les autorité démissionnaires, incapables de proposer une solution, cela s'appelle quartier difficile où il vaut mieux ne pas intervenir, ou avec des pincettes, pour ne pas effaroucher sa population et risquer un mini soulèvement avec voitures brûlées à la clé, mobilier urbain détruit, blessés. Pour le public subissant au quotidien ces faits inacceptables, cela s'appelle zones de non droit.

La solution s'appellerait impunité zéro. Quelle idiotie ! Il suffit d’appliquer la loi. Quelle marque de déchéance de la société toute entière que d’inventer de telles inepties de concepts. Il ne faut pas tolérer la moindre incartade, notamment de comportement. Comment peut-on supporter que des représentants de l'ordre se fassent constamment insulter, et que lorsqu'ils arrêtent parfois les protagonistes, la justice ne leur assène guère plus qu'une remontrance, lorsque encore les politiciens n'ont pas empêché ces arrestations de peur de la réaction habituelle de quasi guerre civile du quartier considéré, tant il est jugé normal par toutes les petites frappes du coin de casser du policier, mais de ne jamais répondre de leurs actes.

On parle de petits délits. Il n'y a pas de petits délits. Pour celui ayant son vélo volé, ce sera parfois le fruit de mois d'économies, l'impossibilité d'aller facilement à son travail, ou à ses seuls loisirs quasiment gratuits, le sentiment constant larvé d'insécurité, la haine et la peur au ventre parfois. On pourra juger ces sentiments excessifs, mais lorsqu'ils font partie de tout un cortège d'autres aberrations de la même sorte, on pourra considérer comme normales alors ces réactions.

Des juges couverts d'injures
Des juges couverts d'injures et des substituts bombardés de projectiles divers à l'audience, des victimes menacées jusque sur les parkings des tribunaux, des magistrats ou des huissiers agressés à l'arme blanche, des CRS appelés pour charger dans une salle des pas perdus, injures racistes et sexistes proférées envers des juges à l'audience, la justice subit à son tour ce que d'autres institutions, de l'école à l'hôpital, vivent depuis plusieurs années : l’affrontement face à des gens pour qui la confrontation à l'institution n'a plus de sens.

La violence concerne aussi bien le juge des enfants au moment où il place les mineurs que le juge des libertés quand il met sous mandat de dépôt, le juge aux affaires familiales lorsque surgit une altercation entre époux ou le juge des tutelles face à une personne fragile. Mais c'est l'audience correctionnelle qui cristallise les tensions.

Plusieurs niveaux de tension. Le port ostensible de la casquette ou la sonnerie concertée des portables sont rangés au rang des incivilités ou des petites provocations. Plus sérieuses sont les agressions physiques à l'encontre des juges et des victimes. Les gros délinquants ont intégré la norme ; ils se disent qu'ils ont perdu cette fois-là. Mais les autres sont toujours convaincus d'avoir perdu à tort.

La frontière entre la loi républicaine et la loi de la cité devient difficile à maintenir. Lors d'un délibéré portant sur une affaire de bande, à Bobigny, un trafic de haschisch s'est organisé entre les prévenus laissés dans la salle d'audience et le public.

Les proches des agresseurs arrivent tôt pour squatter les places, lancent le chahut pour poser l'ambiance, obligeant la victime à se frayer un chemin au milieu d'eux. A Créteil, il a été découvert que certains auteurs d'infractions rémunéraient leurs fans. La famille d'un caïd qui passait en audience avait payé des personnes pour faire le chahut.

Une affaire de jeunes filles tabassées parce qu'elles avaient des fréquentations qui ne plaisaient pas aux « grands frères » :les deux victimes se sont présentées au commissariat en ayant peur. Elles sont arrivées au tribunal en disant qu'elles voulaient retirer leur plainte. Derrière elles, la salle était remplie par le comité de soutien des agresseurs.

Dans une autre affaire, un juge a dû affronter une bagarre générale. L'escorte a évacué la salle, mais la castagne s'est poursuivie devant le tribunal. Un soir, une audience correctionnelle a tellement dégénérée que le tribunal n'a eu que le temps de s'enfermer à triple tour dans la salle des délibérés.

Une personne était jugée pour des faits de viol avec séquestration et violence. Le détenu était surexcité. Le juge l’a regardé. Il a considéré que ce regard était agressif, et a commencé à le menacer, a lancé des insultes ("pédé", "je te retrouverai", etc.). Puis il a essayé de passer par-dessus le box pour lui taper dessus. Dans un premier temps, les deux policiers du dépôt n'ont pas réussi à le maîtriser. L'un a été blessé à l'épaule. Il a fallu l'aide de gendarmes mobiles.

A Evry, les audiences sont des Cocottes-Minute. Quand on prononce une décision, il n'est pas rare de se faire traiter de bouffon de procureur, d'enculé de juge, ou de se voir adresser le sourire kabyle (la main qui passe sous le cou en mimant l'égorgement). Tenir des comparutions immédiates pendant onze heures, avec trente dossiers, donne l'impression que les affaires sont bâclées et au minimum baisse la qualité des audiences. Vous voyez où en est le respect et l’efficacité d’une nos principales institutions ?

Aucun commentaire: